« Charlie, arrête de courir partout ! » Un petit rire se fit entendre. « Moi, c'est Emmalee, m'man » La mère soupira, non pas d'énervement mais d'amusement. Ses filles, ses jumelles aimaient jouer de leur ressemblance, et il fallait avouer qu'elle se faisait souvent avoir. Mais pas cette fois. « Charlie, cette fois, je sais que c'est toi. » Nouveau rire, ou plutôt nouveaux rires puisque les deux petites s'étaient mises à rire. « Tu vois, je t'avais dit que ça n'allait pas marcher aujourd'hui ! » Et, Emma avait raison, aujourd'hui, leur maman, Karen, avait bien remarqué qu'Emmalee avait mis son collier alors que Charlie avait sans doute du l'oublier sur sa table de nuit. C'était la seule chose qui les avait différenciées, sinon Karen serait surement tombée dans le panneau, encore une fois. Ses filles se ressemblaient trait pour trait, chaque point de leur visage, de leur corps était identique. Elles portaient toutes deux les cheveux longs, et bouclés. Parfois, l'une des deux se les lissait. Parfois, les deux en même temps. Bien qu'après un certain temps, en les connaissant, on savait qu'Emmalee les préférait bouclés et Charlie lissés. Elles étaient deux petites filles calmes, bien que joueuses par rapport à leur ressemblance. Personne n'arrivait vraiment à les différencier. Personne mis à part une personne, du moins, au fil du temps.

« Viens, on va voir Andrew » Andrew, c'était le petit garçon, d'un an leur aîné, qui habitait à deux pâtés de maisons et que les jumelles connaissaient depuis leur naissance. En effet, les parents des jumelles étaient des amis de longue date des parents du petit garçon, et surtout de la mère. D'ailleurs, les jumelles n'ont jamais connu le père d'Andrew puisqu'il avait déjà divorcé de Mme Johnson quand ils ont emménagé à Londres. Ils passaient leur temps tous les trois. Ils étaient tellement liés que parfois leurs parents avaient peur qu'ils ne se suffisent qu'à eux trois et n'acceptent personne d'autre dans leur vie. En grandissant, ils étaient toujours restés aussi liés et Andrew pouvait se vanter d'être le seul à les reconnaître à tous les coups. C'était son petit secret. « Emma, fais pas ta chochotte, je sais que t'es amoureuse de lui ! » La première fois que Charlie lui avait dit cela, elles n'avaient alors que seize ans, et pourtant elle avait bien raison. En grandissant, les sentiments qu'elle avait pour Andrew avait considérablement changés. Et c'était carrément réciproque mais malgré la pression de Charlie, aucun des deux n'a encore osé avouer ses sentiments.

« Je suis malade, mes chéries » Elles venaient d'entrer au lycée quand leur mère leur avoua cela. Elles avaient des résultats brillants, étaient populaires, et plutôt admirées pour leur côté souriant en toutes circonstances. Et bien, je peux vous dire que cette nouvelle avait effacé le sourire sur leurs visages. Un cancer du sein, elles ne s'attendaient pas à cela ! Des deux, ce fut Emmalee qui garda le plus la tête sur les épaules, tandis que Charlie, plus rêveuse, était particulièrement mal, ne sachant comment réagir. Mais elles se soutenaient et c'était le plus important ! Cette épreuve les avait sans doute encore rapprochées, les rendant indissociables l'une de l'autre. Elle ressentait ce que l'autre ressentait, et ce dans toutes les circonstances. Leur mère mourut seulement six mois plus tard, ce qui fut un terrible coup dur pour Mark, leur père, qui ne s'attendait pas à ce que sa femme s'en aille si vite. Déjà qu'il travaillait beaucoup et n'était pratiquement jamais là, ce fut encore pire. Les deux sœurs se retrouvèrent totalement seules mais elles savent que si elles n'ont pas plongé, c'était parce qu'elles se soutenaient, et parce qu'elles avaient le soutien d'Andrew notamment.

« On ne va pas se séparer, Char', on va dans la même université, hein ? » Emma était inquiète, même si elle était la plus forte des deux, elle paniquait à l'idée de ne plus avoir sa jumelle près d'elle. « Bien sûr qu'on va dans la même université ! » Sourires. Toutes deux avaient choisi des études différentes. Emma allant en littérature, suivant sa passion des livres, passion transmise par sa grand-mère maternelle, et partagée avec Andrew qui était éditeur. Tandis que Charlie allait en psychologie, ce qui lui correspondait bien puisque Emma n'avait de cesse de lui répéter « Tu veux toujours te mêler de la vie des autres, jouer les psy' » Comme entre Andrew et elle par exemple. Leur amour avait une telle intensité qu'ils n'y avaient vraiment qu'eux pour avoir peur. Peur de quoi ? De la tournure que prendraient les choses. La jeune femme avait une telle envie de lui crier qu'elle l'aimait mais la peur lui tiraillait le ventre, malgré les conseils positifs de sa jumelle.

« Je suis enceinte, Emma' » Sa meilleure amie venait de lui annoncer la plus belle des nouvelles. Une merveilleuse nouvelle sans toute la tristesse qui les entourait. Winter était enceinte, et même si son fiancé habitait New-York, cela se voyait qu'elle rayonnait. Cela faisait presque un an qu'elle avait emménagé et bientôt huit ans qu'elles s'étaient rencontrées tout à fait par hasard dans Londres. « Je veux que tu sois la marraine » C'était tellement flatteur que la jolie brune ne put qu'accepter. Et la petite Ashley était née, ayant deux ans aujourd'hui. Emmalee aimait tellement cette petite. « Tu sais, je n'aime pas trop cette blonde ! » Emmalee eut un petit sourire en coin. « Je sais, Char', mais elle est ma meilleure amie ! Toi, tu es ma jumelle, tu es mon double ! Alors, arrête d'avoir peur » « Mais, je n'ai pas peur ! » Charlie répétait sans cesse cette dernière phrase pourtant sa jumelle savait qu'elle avait bel et bien peur, elle la connaissait. Pourtant, elle ne devrait pas avoir peur, la relation qu'elle avait avec Winter était incomparable à celle qu'elle avait avec sa sœur. Et puis, elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir peur puisqu'elle même n'aimait pas la meilleure amie de Charlie...

Quelque chose n'allait pas, elle le sentait. Elle était seule à la maison, tout était habituel en apparence, mais au fond d'elle, elle avait une impression bizarre, comme si quelque chose était arrivée. Elle ressentait cette sensation quand sa jumelle allait mal. Alors, elle attendait tranquillement sur le sofa, que sa sœur rentre, qu'elle lui explique ce qui n'allait pas. Au lieu de ça, son téléphone se mit à sonner. « Vous êtes Emmalee Law ? » Un appel étrange en soirée. Une voix mystérieuse qu'elle ne connaissait pas. « C'est l'hôpital de Londres. » Et là, son souffle s'arrêta, et elle sut que ce n'était pas seulement une tristesse que pouvait ressentir sa jumelle, c'était bien pire que ça. Et, en effet, son père était en voiture avec Charlie, et ils ont eu un accident. On découvrit plus tard que Mark avait un taux d'alcoolémie bien trop élevé. Lorsqu'Emma arriva à l'hôpital, elle demanda de suite qu'on l'emmène voir sa sœur. On se demandait comment elle avait réussi à venir jusque l'hôpital seule tellement ses yeux étaient gonflés par les larmes, tellement les larmes coulaient encore. Ce jour-ci, elle avait eu l'impression qu'elle avait un stock infini de sanglots. La voir allongée sur ce lit, c'était comme lui arracher une partie de son cœur, une partie d'elle-même. « Salop ! T'as tué ma sœur ! » Ce fut les seules paroles qu'elle put lancer à son père lorsqu'elle le vit dans la chambre de Charlie. Pour sa part, il n'avait été que légèrement blessé alors que Charlie avait du être opérée et ne s'était toujours pas réveillée. La jeune femme s'était jetée sur son père et l'assenait de coups, saccadés par les sanglots. Elle était devenue incontrôlable, aveuglée par sa peine, par sa haine envers ce père qui n'avait jamais su les aimer finalement. « Emma, stop ! Laisse-le ! » Andrew avait été le seul capable de maîtriser Emmalee dans sa colère alors qu'elle avait repoussé les infirmières et médecins avec hargne. Mais quand le jeune homme l'avait saisie, ses forces l'avaient abandonnée, et elle ne put que sangloter dans les bras de son ami. Quant à son père, il était parti, les yeux tristes. Ce ne fut quelques jours plus tard que Charlie s'était réveillée, sa jumelle à son chevet. « Oh mon Dieu, Char' ! » furent les premières paroles de la brune, avant de prendre la main de sa sœur. C'était il y a deux ans et pourtant Emmalee n'arrivait toujours pas à enlever cette peur qu'elle avait au ventre constamment, cette peur de perdre sa raison d'être.

Lorsque Charlie sortit de l'hôpital, Emmalee lui annonça qu'elle avait trouvé un loft où elle comptait s'installer car elle ne voulait pas rester dans la même maison que l'homme qui avait failli tuer son double. Ses tentatives de la convaincre de lui pardonner restèrent vaines alors Charlie n'hésita pas à déménager avec sa sœur. Elles habitaient donc ensemble depuis. Toutes deux avaient repris leurs études où elles en étaient. Aujourd'hui, Charlie s'était bien remise de son accident, et était donc en troisième année de psycho' alors qu'Emma, toujours fragilisée par tout ça, était en troisième année de littérature.